Hugues BERTIN
ARTIST
Man has always produced, let us preserve the earth's resources by harvesting what has already been achieved."
H.BERTIN
REPORTAGE FRANCE 3 "Météo à la carte"
Paru dans l'émission Nationale le Mercredi 15 janvier 2025


Fascinated by abandoned places, Hugues BERTIN explores and photographs numerous abandoned greenhouses in the Var.
Faced with the beauty of the glasses and before they disappear forever, he decides to recover these materials loaded with history and prints his photographs directly on them. To restore the atmosphere from which the glass comes, he makes his own steel frames that he deliberately lets rust.
His works are based on the traces of the passage of man that fade over time: abandonment, oblivion and materials that decompose in the face of natural elements. All in an atmosphere that is essential to him: "the marine universe".
His creations are unique, they are born from these materials with a compromised destiny, from the materialization of his imagination, his obstinacy and the patience necessary to transform a simple idea into a successful artistic identity.
His photographic and artistic works are the fruit of his family and human inspirations, entwined by matter, engraved in texture, reinforced by steel and colored by life.


Ses œuvres en témoignent, Hugues Bertin revendique volontiers un double héritage. Celui de son grand-père qui travaillait l’acier dans les hauts fourneaux de Lorraine et cultivait des plantes dans une serre aux verres ondulés. Celui de ses parents partis s’installer dans des terres bretonnes balayées par les embruns, les noroits et les brises.
Le feu et la terre pour le grand père, l’eau et le grand air des rivages bretons : tous les éléments primordiaux qui travaillent et érodent les surfaces photographiées par Hugues sont déjà présents. Avec leur valeur symbolique ambivalente puisque ces éléments essentiels sont sources de vie et principes actifs de la corrosion des matières. Au cœur de son expérience artistique, Hugues Bertin explore cette dualité d’un temps qui incarne la vie, l’informe, autant qu’il l’altère et la ruine. L’éclat et la rouille, résidus flamboyants, pulsion de vie, pulsion de mort. Un art de l’oxymore.
La dimension artisanale de son travail restitue la mémoire de lieux, de matériaux, de traces ou de symboles qui ont marqué son enfance. Chacune de ses œuvres est un hommage à un passé redevenu vivant, à des gestes ressuscités ou sublimés qui furent ceux d’humbles ouvriers. Du grand-père, Hugues a retenu le travail de l’acier qu’il façonne et taille pour ses cadres. Son attirance pour les friches industrielles, les lieux déshérités, les usines en ruine ou les matériaux rouillés montre aussi le destin de sites autrefois bouillonnants, aujourd’hui abandonnés, tristes épaves d’un univers révolu, souvent négligées, parfois oubliées, soudain ranimées. Le monde du grand-père, celui des modestes ouvriers de la sidérurgie. Chaque cadre en acier, découpé et agencé patiemment, sera un hommage à ce passé.
De son grand-père Hugues Bertin a aussi conservé le souvenir d’une serre dont les reflets le fascinaient. Ces verres de serre gondolés qu’il récupère aujourd’hui pour ses montages photographiques, qu’il rassemble et découpe, nettoie et retaille, rappellent le travail de la terre et celui des verriers. Le verre protège et assure la fécondité des cultures, il filtre les rayons. Il diffuse chaleur et douceur. On retrouve chez Hugues cette humilité de l’artisan qui explore les matériaux humbles, les manie et les intègre pour leur donner une seconde vie artistique. Recouverte de verre cathédrale, la surface découpée ondule, s’offrant au toucher sensuel et aux reflets inattendus et c’est comme si cette seconde peau transparente rendait l’image plus chatoyante et vivante.
Affuté par la fréquentation des rivages bretons, le regard du photographe se tourne vers d’autres épaves et d’autres vestiges, ceux de la mer. Il erre dans les chantiers navals, scrutant les cimetières marins, les aires de carénage, les coques de navire, les gréements égarés, les sols délavés. L’œil repère des sujets insolites et cueille ses images à La Ciotat, à Cassis, à La Seyne, à Sète, à Marseille ou au Portugal. Il photographie patiemment les empreintes du labeur humain, les traces du passé sur des carcasses abandonnées, les coulures pétrifiées, la décomposition des couches de peinture, l’oxydation des carènes, les reliquats (cordes, hélices, bois) de bateaux esseulés ou de pointus anciens. Autant de fragments d’une histoire délaissée. Des colorations explosives resurgissent, magnifiées par le cadrage, rongées par les éléments, le temps, l’abandon. L’usure rayonne, la rouille étincelle.
Chaque image offre un détail du passé et un appel au large, à une nouvelle vie peuplée de rêves et de voyages. Une des premières grandes œuvres d’Hugues Bertin, la première peut-être (voir son site internet) s’intitule ainsi Carte du Monde. Titre emblématique. Un détail d’une coque se métamorphose en géographie intime pour le spectateur fasciné. Chaque image exposée invite ainsi à l’évasion, à la rêverie et l’on oublie le support initial pour naviguer au fil des couleurs, dessiner un paysage, voguer dans les lointains. L’œuvre devient impulsion pour notre imagination nomade, toute vibrante de pulsions de vie et de teintes éclatantes qui émergent des déchéances. La nostalgie est oubliée, seul demeure l’appétit de couleurs, de lumière, de formes, de vie nouvelle : l’œuvre nait d’un désir vital que la présence des épaves et du cimetière rend peut-être plus ardent et plus urgent.
Un paradoxe est au cœur du travail d’Hugues Bertin. Par ses cadrages et son coup d’œil, Hugues « rend visible » des détails anodins bien sûr, il éclaire l’invisible. Ce qui nous rappelle les propos de Paul Klee : « L’art ne reproduit pas le visible. Il rend visible ». Hugues nous fait voir autrement bien sûr les lambeaux et débris d’un monde abandonné. Mais son regard métamorphose surtout la rouille, l’érosion, la décomposition en image lumineuse, poétique et vivante. Il crée un art de la mémoire lointaine et de la reviviscence frémissante, comme si l’œil du photographe s’arrachait au chaos, au tumulte des éléments, à une nostalgie crépusculaire, pour peupler la nuit d’étoiles filantes, de rémanences solaires. L’art transforme alors la dévastation en source de beauté et de vie.
Stéphane Guinoiseau - Ecrivain