Hugues BERTIN
ARTISTE
L'homme produit depuis toujours, préservons les ressources de la terre en cueillant ce qui a déjà été réalisé."
H.BERTIN
"Ca peut pas ne pas marcher, on a pas le choix"
Bob MARLEY
Ses œuvres en témoignent, Hugues Bertin revendique volontiers un double héritage. Celui de son grand-père qui travaillait l’acier dans les hauts fourneaux de Lorraine et cultivait des plantes dans une serre aux verres ondulés. Celui de ses parents partis s’installer dans des terres bretonnes balayées par les embruns, les noroits et les brises.
Le feu et la terre pour le grand père, l’eau et le grand air des rivages bretons : tous les éléments primordiaux qui travaillent et érodent les surfaces photographiées par Hugues sont déjà présents. Avec leur valeur symbolique ambivalente puisque ces éléments essentiels sont sources de vie et principes actifs de la corrosion des matières. Au cœur de son expérience artistique, Hugues Bertin explore cette dualité d’un temps qui incarne la vie, l’informe, autant qu’il l’altère et la ruine. L’éclat et la rouille, résidus flamboyants, pulsion de vie, pulsion de mort. Un art de l’oxymore.
La dimension artisanale de son travail restitue la mémoire de lieux, de matériaux, de traces ou de symboles qui ont marqué son enfance. Chacune de ses œuvres est un hommage à un passé redevenu vivant, à des gestes ressuscités ou sublimés qui furent ceux d’humbles ouvriers. Du grand-père, Hugues a retenu le travail de l’acier qu’il façonne et taille pour ses cadres. Son attirance pour les friches industrielles, les lieux déshérités, les usines en ruine ou les matériaux rouillés montre aussi le destin de sites autrefois bouillonnants, aujourd’hui abandonnés, tristes épaves d’un univers révolu, souvent négligées, parfois oubliées, soudain ranimées. Le monde du grand-père, celui des modestes ouvriers de la sidérurgie. Chaque cadre en acier, découpé et agencé patiemment, sera un hommage à ce passé.
De son grand-père Hugues Bertin a aussi conservé le souvenir d’une serre dont les reflets le fascinaient. Ces verres de serre gondolés qu’il récupère aujourd’hui pour ses montages photographiques, qu’il rassemble et découpe, nettoie et retaille, rappellent le travail de la terre et celui des verriers. Le verre protège et assure la fécondité des cultures, il filtre les rayons. Il diffuse chaleur et douceur. On retrouve chez Hugues cette humilité de l’artisan qui explore les matériaux humbles, les manie et les intègre pour leur donner une seconde vie artistique. Recouverte de verre cathédrale, la surface découpée ondule, s’offrant au toucher sensuel et aux reflets inattendus et c’est comme si cette seconde peau transparente rendait l’image plus chatoyante et vivante.
Affuté par la fréquentation des rivages bretons, le regard du photographe se tourne vers d’autres épaves et d’autres vestiges, ceux de la mer. Il erre dans les chantiers navals, scrutant les cimetières marins, les aires de carénage, les coques de navire, les gréements égarés, les sols délavés. L’œil repère des sujets insolites et cueille ses images à La Ciotat, à Cassis, à La Seyne, à Sète, à Marseille ou au Portugal. Il photographie patiemment les empreintes du labeur humain, les traces du passé sur des carcasses abandonnées, les coulures pétrifiées, la décomposition des couches de peinture, l’oxydation des carènes, les reliquats (cordes, hélices, bois) de bateaux esseulés ou de pointus anciens. Autant de fragments d’une histoire délaissée. Des colorations explosives resurgissent, magnifiées par le cadrage, rongées par les éléments, le temps, l’abandon. L’usure rayonne, la rouille étincelle.
Chaque image offre un détail du passé et un appel au large, à une nouvelle vie peuplée de rêves et de voyages. Une des premières grandes œuvres d’Hugues Bertin, la première peut-être (voir son site internet) s’intitule ainsi Carte du Monde. Titre emblématique. Un détail d’une coque se métamorphose en géographie intime pour le spectateur fasciné. Chaque image exposée invite ainsi à l’évasion, à la rêverie et l’on oublie le support initial pour naviguer au fil des couleurs, dessiner un paysage, voguer dans les lointains. L’œuvre devient impulsion pour notre imagination nomade, toute vibrante de pulsions de vie et de teintes éclatantes qui émergent des déchéances. La nostalgie est oubliée, seul demeure l’appétit de couleurs, de lumière, de formes, de vie nouvelle : l’œuvre nait d’un désir vital que la présence des épaves et du cimetière rend peut-être plus ardent et plus urgent.
Un paradoxe est au cœur du travail d’Hugues Bertin. Par ses cadrages et son coup d’œil, Hugues « rend visible » des détails anodins bien sûr, il éclaire l’invisible. Ce qui nous rappelle les propos de Paul Klee : « L’art ne reproduit pas le visible. Il rend visible ». Hugues nous fait voir autrement bien sûr les lambeaux et débris d’un monde abandonné. Mais son regard métamorphose surtout la rouille, l’érosion, la décomposition en image lumineuse, poétique et vivante. Il crée un art de la mémoire lointaine et de la reviviscence frémissante, comme si l’œil du photographe s’arrachait au chaos, au tumulte des éléments, à une nostalgie crépusculaire, pour peupler la nuit d’étoiles filantes, de rémanences solaires. L’art transforme alors la dévastation en source de beauté et de vie.
Stéphane Guinoiseau - Ecrivain
His works bear witness to this, Hugues Bertin willingly claims a double heritage. That of his grandfather who worked steel in the blast furnaces of Lorraine and cultivated plants in a greenhouse with corrugated glass. That of his parents who left to settle in Breton lands swept by sea spray, storms and breezes.
Fire and earth for the grandfather, water and the fresh air of the Breton shores: all the primordial elements which work and erode the surfaces photographed by Hugues are already present. With their ambivalent symbolic value since these essential elements are sources of life and active principles in the corrosion of materials. At the heart of his artistic experience, Hugues Bertin explores this duality of a time which embodies life, informs it, as much as it alters and ruins it. Shine and rust, flaming residue, life drive, death drive. An art of oxymoron.
The artisanal dimension of his work restores the memory of places, materials, traces or symbols that marked his childhood. Each of his works is a tribute to a past that has become alive again, to resurrected or sublimated gestures which were those of humble workers. From his grandfather, Hugues learned how to work with steel, which he shapes and cuts for his frames. His attraction to industrial wastelands, disinherited places, ruined factories or rusty materials also shows the destiny of sites once bustling, now abandoned, sad wrecks of a bygone universe, often neglected, sometimes forgotten, suddenly revived. The world of the grandfather, that of modest steel workers. Each steel frame, patiently cut and arranged, will be a tribute to this past.
His grandfather Hugues Bertin also kept the memory of a greenhouse whose reflections fascinated him. These warped greenhouse glasses that he collects today for his photographic montages, which he gathers and cuts, cleans and resizes, recall the work of the earth and that of the glassmakers. Glass protects and ensures the fertility of crops, it filters the rays. It diffuses warmth and softness. We find in Hugues this humility of the artisan who explores humble materials, handles them and integrates them to give them a second artistic life. Covered with cathedral glass, the cut surface undulates, offering itself to the sensual touch and unexpected reflections and it is as if this second transparent skin makes the image more shimmering and alive.
Sharpened by frequenting the Breton shores, the photographer's gaze turns towards other wrecks and other vestiges, those of the sea. He wanders through the shipyards, scrutinizing the marine cemeteries, the careening areas, the hulls of ship, misplaced rigging, washed out floors. The eye spots unusual subjects and picks up its images in La Ciotat, Cassis, La Seyne, Sète, Marseille or Portugal. He patiently photographs the imprints of human labor, the traces of the past on abandoned carcasses, the petrified drips, the decomposition of layers of paint, the oxidation of hulls, the remains (ropes, propellers, wood) of lonely boats or sharp elders. So many fragments of a neglected history. Explosive colors resurface, magnified by the framing, eaten away by the elements, time, abandonment. Wear radiates, rust sparkles.
Each image offers a detail from the past and a call to the wider world, to a new life populated by dreams and travel. One of Hugues Bertin's first great works, perhaps the first (see his website), is entitled Map of the World. Iconic title. A detail of a hull transforms into an intimate geography for the fascinated viewer. Each image exhibited thus invites escape, daydreaming and we forget the initial support to navigate through the colors, draw a landscape, sail into the distances. The work becomes an impulse for our nomadic imagination, vibrant with life impulses and brilliant colors that emerge from decay. Nostalgia is forgotten, only the appetite for colors, light, shapes, new life remains: the work is born from a vital desire that the presence of the wrecks and the cemetery perhaps makes more ardent and more urgent.
A paradox is at the heart of Hugues Bertin’s work. Through his framing and his glance, Hugues “makes visible” trivial details of course, he illuminates the invisible. Which reminds us of the words of Paul Klee: “Art does not reproduce the visible. It makes it visible.” Hugues makes us see differently of course the shreds and debris of an abandoned world. But above all his gaze transforms rust, erosion, decomposition into a luminous, poetic and living image. He creates an art of distant memory and quivering reviviscence, as if the photographer's eye were torn away from chaos, from the tumult of the elements, from a twilight nostalgia, to populate the night with shooting stars, with solar afterglow. Art then transforms devastation into a source of beauty and life.
Stéphane Guinoiseau - Writer